L’aide étrangère (fin) : Après l’arrosage, l’essorage

Cette contribution est la quatrième et dernière partie d’une série qui expose les limites de l’aide internationale. Pour son auteur, l’économiste, le banquier, l’analyste, l’essayiste Cheickna Bounajim Cissé, le développement est un concept profondément endogène. On ne peut pas le sous-traiter en le confiant aux bons soins des «partenaires» au développement, aux institutions internationales et aux «pays frères et amis»

Publié jeudi 22 décembre 2022 à 07:02
L’aide étrangère (fin) : Après l’arrosage, l’essorage

Comment l’Afrique est-elle devenue un «déversoir de produits», un «receveur universel» et un «carrefour alimentaire» – pour emprunter des formules malheureuses – à tout consommer et à peu produire, à acheter de la camelote, des friperies de l’Europe aux pacotilles de l’Asie, en passant par les vieilleries de toutes sortes, celles que les autres rejettent quand ils n’en ont plus envie, allant des véhicules âgés aux congélateurs usagés, en passant par les chaussures abîmées, la vaisselle décatie, les jouets d’enfant élimés, les serviettes usées, les vieux matelas d’hôpitaux souillés, les draps flétris, les soutiens-gorges défraîchis, et même les caleçons et pyjamas avachis ?

Comment peut-on continuer en Afrique à bomber le torse, la sueur sur le front et «les yeux dans les yeux» (pour reprendre une expression malmenée et laminée dans le landerneau politique français) lorsque la majorité de leurs programmes socio-économiques sont financés par l’extérieur avec l’entregent manifeste du FMI ? À la suite de cette dépendance économique, quelle indépendance politique lorsqu’une bonne partie du budget de nos élections est à la charge des «partenaires» techniques et financiers ? Et comment peut-on après s’insurger contre l’ingérence extérieure ?

En un mot comme en mille, comment les Africains sont-ils devenus des mendiants sur leurs propres terres et à être soumis à l’ordalie, cette forme de supplice médiéval qui reposait sur le postulat que l’innocence ou la culpabilité de l’accusé était basée sur sa capacité à surmonter une épreuve mortelle ?

Chers dirigeants africains, la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit. Cet aphorisme ne relève pas seulement de la morale ou du domaine religieux. C’est une constante des réalités géopolitiques et géostratégiques. Le monde s’est toujours révélé une affaire de rapport de forces. Comme dans la jungle, chacun dîne d’un plus petit que soi. Ceux qui, par chance ou par malchance, ne finissent pas leur course dans la panse des prédateurs sont secourus par l’ambulance des aumôniers internationaux. Juste de quoi leur remettre sur pied en attendant la prochaine chasse. «Dès lors, les dirigeants africains devraient comprendre que ni la Banque mondiale ni le FMI ne les aideront à se développer. Leur rôle est de les garder dans l’orbite occidentale», estime l’économiste Demba Moussa Dembélé.

Tous, même les diplomates au langage plus doucereux que sulfureux s’accordent à dire que les États n’ont pas d’amis mais des intérêts à conquérir et à défendre. Et tous les moyens sont mis en œuvre pour y parvenir. Les «généreux» donateurs ont toujours dans leur «boîte à outils» de quoi serrer un peu plus la vis. D’ailleurs, dans un document présumé être la « Charte de l’impérialisme», circulant à profusion sur le Net, il est indiqué : «Notre aide doit être accompagnée des recommandations fortes de nature à empêcher et briser toute action de développement des pays du tiers-monde.»

Assis sur des réserves immenses de minerais, les pieds dans l’eau, avec «une bouche qui dégage une haleine de pétrole» (l’expression est empruntée au politologue Babacar Justin Ndiaye), les Africains continuent à tendre la sébile pour obtenir l’obole. Leurs gamelles ont fait plusieurs fois le tour du monde. Pourtant, malgré cette débauche exceptionnelle d’énergie, les Africains continuent de vivre dans une précarité insoutenable ; leur continent tient fermement la corde de toutes les formes possibles d’indigence. En plein XXIe siècle, des millions d’Africains naissent et disparaissent dans une insupportable indifférence.

Chers dirigeants africains, comme le dirait le chercheur et écrivain Sane Chirfi Alpha, on vous fait couler des larmes de sang et vous les essuyez avec des épines ? De grâce, faites en sorte que l’Afrique ne soit pas un champ de patates où tout ce qui est utile se trouve sous terre. Le développement est un concept profondément endogène. On ne peut pas le sous-traiter en le confiant aux bons soins des « partenaires » au développement, aux institutions internationales et aux « pays frères et amis ». Ce sera trop leur demander. Et même si c’est le cas, ils ne le feront pas. Ce n’est pas parce qu’ils aiment le foie gras qu’ils doivent forcément s’intéresser à la vie du canard.

Les relations économiques internationales sont comparables à un jeu à somme nulle. Dans ce contexte de compétition mondiale, chaque État veille, légitimement et jalousement, sur ses intérêts. Et tout y passe pour les préserver. Cela est d’autant plus logique que dans la nature, rarement un dominant a hissé à sa stature un dominé pour l’affranchir de sa domination. L’écrivain gallois Ken Follett le dit autrement : « Dans le monde où nous vivons, il n’y a pas de pitié. Les canards avalent les vers, les renards tuent les canards, les hommes abattent les renards et le diable poursuit les hommes.» Que les dirigeants africains se le tiennent pour dit !

Chers dirigeants africains, le développement n’est pas une notion abstraite. Il se vit à l’intérieur et se voit de l’extérieur, à des milliers de kilomètres à la ronde. On n’y accède que par une vision longue et partagée, défrichée de toute contingence politique, par organisation et méthode, par patriotisme et civisme, par labeur et rigueur.

Aussi, il ne sert à rien pour maintenir les programmes insanes avec le FMI, de continuer à embellir l’état de vos économies par des indicateurs macroéconomiques supposés «solides et performants», à l’aide des chiffres plantureux, des graphiques savoureux, des commentaires généreux distillés par d’onéreux experts lors de pompeux sommets et forums. La réalité locale vous opposera toujours, aussi longtemps que durera la farce, des visages miséreux, des regards vitreux, des cadres véreux, des rapports de contrôle sulfureux, un chômage douloureux, un système de gouvernance fiévreux, un système de santé défectueux, un système d’éducation scabreux, un système de sécurité poreux…

Chers dirigeants africains, vous avez maintenant compris. Tout au moins, vous êtes prévenus. Une sagesse burkinabè nous enseigne : «Quand le canari se casse sur votre tête, il faut en profiter pour vous laver». Il ne faut donc pas se tromper de responsabilités : les Africains sont tenus à la construction de leur continent et leurs partenaires ne peuvent être que conviés à appuyer cette œuvre. Inverser les rôles, c’est renoncer tout simplement au développement.


La forte dépendance des économies africaines vis-à-vis de l’extérieur n’est pas sans conséquence sur le choix des politiques publiques qui restent imprimées par la volonté des donateurs. Un ancien président africain ne disait-il pas que «l’aide la plus utile et la plus noble est celle qui vient de nous-mêmes».


Il faut donc que les pays africains sortent du piège de l’aide, et ce le plus rapidement possible. Ceux d’entre eux qui en sont addicts doivent en être sevrés, progressivement mais irréversiblement. Dans ce monde où rien n’est gratuit, ne dit-on pas que celui qui prête la guitare c’est celui qui impose la mélodie ? Dès lors, légitimement et raisonnablement, si les pays africains veulent jouer et écouter leur propre mélodie, pourquoi ne pas s’investir à acheter leurs propres guitares ?


Cheickna Bounajim Cissé

L’émergentier

Rédaction Lessor

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