Profession d’avocat : Me Makan Diallo à cœur ouvert

Makan Diallo est un avocat inscrit aux barreaux du Mali et de Paris en France. Dans cette interview qu’il nous a accordée, il donne des explications détaillées sur la profession d’avocat, le rapport tendu entre les avocats et le ministère public lors des procès de même qu’entre avocats eux-mêmes

Publié mardi 22 juillet 2025 à 07:54
Profession d’avocat : Me Makan Diallo à cœur ouvert

L’Essor : Comment devient-on avocat au Mali ?

Me Makan Diallo : Tout d’abord, il convient de préciser pour la bonne compréhension du public, ce qu’est un avocat. L’avocat est un professionnel du droit dont la mission principale est d’assister et de représenter son client devant les juridictions. Il peut également exercer une mission de conseil juridique. C’est un acteur majeur de la justice.

Ainsi, l’accès à cette profession obéit à un certain nombre de conditions et critères prévus dans le Règlement n°05/CM/Uemoa relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace Uemoa (Union économique et monétaire Ouest africaine). 

Dans le cadre de l’Uemoa, les Etats membres ont décidé d’harmoniser les dispositions nationales règlementant l’exercice de certaines professions en vue de faciliter le développement du marché commun. Parmi ces professions, figure en bonne place celle d’avocat.

Aujourd’hui, les barreaux des Etats membres de l’Uemoa sont régis par le même texte communautaire en vue d’une meilleure organisation de la profession. Un texte supra national qui harmonise la pratique professionnelle de l’avocat et supplante in fine les dispositions nationales contraires des barreaux membres.

L’accès à la profession est conditionné à l’obtention du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat (Capa) et s’effectue par étapes. Le candidat doit passer un test d’entrée au Centre de formation professionnelle des avocats (CFPA). A cet effet, il doit être titulaire d’un Master II en droit reconnu par le Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (Cames) ou de la Maitrise en droit ou d’un diplôme reconnu équivalent. En outre, le candidat doit être âgé de 21 ans au moins et être de bonne moralité.

Une fois cette étape franchie, le candidat admis s’inscrira aux cours préparatoires à l’examen du Capa au CFPA pour une durée de 12 mois repartie en deux semestres. Le premier semestre est consacré à la formation commune de base, tandis que le deuxième semestre sera basé sur un stage dans un cabinet d’avocat et/ou en entreprise.

Il acquiert le titre d’élève-avocat et sera soumis au règlement intérieur du CFPA. A l’issue de cette formation, l’élève-avocat peut être candidat à l’examen du Capa. Le candidat admis portera le titre d’avocat stagiaire et accomplira son stage sous la responsabilité de l’avocat dans le cabinet duquel, il est affecté.

 La durée du stage est de trois 03 ans. Toutefois, sont dis
pensés du Capa, les magistrats ayant accompli au moins dix années de pratique professionnelle en juridiction et qui auront préalablement démissionné de leur fonction et les professeurs agrégés des facultés de droit. Ils devront, cependant, suivre avant leur prestation de serment, des cours de déontologie et de pratique professionnelle d’avocat pour une période d’au moins six mois suivant les modalités définies par le bâtonnier.

Enfin, avant d’exercer la profession d’avocat, le postulant prête serment devant
la Cour d’appel en ces termes : « je jure, en tant qu’avocat, d’exercer ma profession avec honneur, indépendance, probité, délicatesse, loyauté et dignité dans le respect des règles de mon Ordre ».

L’Essor : Le Mali compte, aujourd’hui, combien d’avocats inscrits au barreau et quel est le ratio population-avocat de nos jours ?

Me Makan Diallo : Nous sommes près de 300 avocats au Mali repartis entre Bamako et certaines régions. En termes de ratio, il est vrai qu’il y a un déséquilibre à ce niveau et qu’il faut palier autant que faire se peut. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que la profession d’avocat est une profession règlementée qui a ses exigences, une profession élitiste qui n’est pas donnée au premier venu.

C’est l’occasion pour moi de saluer les efforts du bâtonnier en exercice et de l’actuel conseil de l’Ordre pour avoir organisé récemment un test d’admission au CFPA ayant permis l’admission d’une trentaine d’élèves-avocats. Cela fait près de trois mois que 37 élèves avocats sont en formation au niveau du Centre. Pour vous dire que des efforts sont en train d’être déployés dans le sens d’un recrutement méritoire et en toute transparence.

L’Essor : Quelles sont les obligations des avocats vis-à-vis de leurs clients ?

Me Makan Diallo : L’avocat est un professionnel du droit, qui a pour mission de conseiller, d’assister ou de représenter son client dans le cadre d’une affaire juridique. A cet effet, un certain nombre d’obligations pèsent sur lui aussi bien dans le cadre du conseil que de la défense. Ainsi, l’avocat a le devoir d’informer et de conseiller utilement son client.

Les obligations de diligence, de loyauté, de dévouement, d’indépendance, de respect de la confidentialité et du secret professionnel lui incombent également vis-à-vis de son cli
ent. Il serait fastidieux de détailler tous ces principes dans le cadre de cette interview. Il faut juste retenir en définitive, qu’en cas de manquement à ces obligations, la responsabilité de l’avocat pourrait être engagée sur le plan disciplinaire ou civil, voire pénal.

Enfin, il y a lieu de préciser que c’est une obligation de moyens qui pèse sur l’avocat et non de résultat. Dit autrement, l’avocat est tenu de déployer les moyens idoines au succès de la cause de son client en faisant les diligences nécessaires, en adoptant la meilleure stratégie possible, etc. Cependant, il ne peut garantir le résultat de la procédure judiciaire qui relève du juge.

Par exemple, la condamnation d’un client lors d’un procès n’emporte pas la responsabilité de l’avocat si ce
dernier a mis en Å“uvre les moyens nécessaires et appropriés pour défendre les intérêts de son client. Toutefois, il existe quelques exceptions où l’avocat peut être tenu à une obligation de résultat, notamment dans la rédaction d’actes où il doit garantir leur validité.


L’Essor : Comment un avocat est constitué pour la défense dans un procès ?

Me Makan Diallo : La profession d’avocat est libérale et indépendante. Partant de ce postulat, le choix de l’avocat de la part du client est libre et l’avocat n’est pas non plus obligé d’accepter un client s’il estime que la cause est contraire à ses principes. En tout cas, s’il se justifie par des motifs légitimes et valables.

Un client peut faire appel à un avocat pour le défendre dans le cadre d’un procès. Il suffit que les deux parties se mettent d’accord sur les conditions de la prise en charge de l’affaire notamment le montant des honoraires de l’avocat et la nature de sa mission, etc. Il s’agit d’un contrat qui lie les deux parties et qui fixe leurs obligations respectives conformément à la loi et aux usages en vigueur.

L’Essor : Lors des procès, on assiste souvent à des prises de bec entre les avocats et le ministère public. Qu’est ce qui explique cela ?

Me Makan Diallo : Les prises de bec sont assez courantes lors des procès, surtout dans les audiences pénales (correctionnelles ou assises) impliquant le ministère public, d’une part et l’avocat de la défense, d’autre part. Pour qui connait les arcanes judiciaires, ces genres de spectacles ne sont guère surprenants et n’ont rien de méchant.

Cela fait partie du jeu si je dois m’exprimer ainsi. Dans un procès pénal, le procureur ou le ministère public, représente la société et son rôle est de poursuivre et de faire en sorte que le mis en cause soit reconnu coupable et
condamné alors que l’avocat défenseur, pour sa part, se battra afin que son client soit reconnu non coupable et acquitté ou relaxé. Donc forcément, dans cette quête opposée et antagoniste, nous ne sommes pas à l’abri d’étincelles entre les deux camps.

Chaque partie dans son rôle se bat à la loyale conformément aux règles établies, même si souvent, on hausse le ton pour impressionner l’autre par des gesticulations, des envolées, des effets de manche, etc. Le procès pénal a son côté théâtral, grandiloquent et est une sorte de spectacle pour le public où les protagonistes s’empoignent dans le bon sens du terme pour le triomphe du droit et de la justice. C’est un spectacle vivant, je dirai.


L
’Essor : Ces prises de bec se produisent également entre avocats eux-mêmes lors des procès. Qu’est ce qui justifie cette situation ?


Me Makan Diallo :
Si les int
érêts sont divergents, forcement il faut s’attendre à des accrochages entre protagonistes sans pour autant que la loi soit violée. Par exemple, l’avocat de la partie civile c’est-à-dire de la victime et celui du prévenu c’est-à-dire le mis en cause, peuvent avoir des échanges musclés à la barre et des prises de bec. Tant que la loi n’est pas violée, c’est tant mieux pour tout le monde. Ce qui n’a rien à voir, par contre avec des atteintes physiques, verbales contraires à la loi et qui peuvent aboutir à d’autres situations fâcheuses.

L’Essor : Nous voyons que des avocats maliens défendent des clients à l’extérieur de même que ceux des autres pays le font au Mali. Sur quelle base cela se fait-il ?

Me Makan Diallo : Effectivement, un avocat malien peut défendre un client à l’extérieur de même qu’un avocat étranger peut le faire aussi au Mali. Ce qui est tout à fait permis dans l’exercice de la profession d’avocat, mais implique souvent certaines conditions ou restrictions.

Si nous prenons par exemple, le Règlement n° 05, c’est-à-dire, le texte communautaire qui régit l’ensemble des barreaux membres de l’Uemoa, les avocats de cet espace intégré sont libres d’aller prester dans tous les Etats membres. Pour ce faire, une domiciliation dans un cabinet local est nécessaire et l’avocat en question est tenu de respecter les règles de procédure du pays où se déroule le procès et d’observer également les règles déontologiques qui vont avec.

L’Essor : Souvent, la population ne comprend pas le fait qu’un avocat défende un client alors qu’il ne partage pas les valeurs ou opinions de ce dernier. Qu’est ce qui explique cela ?

Me Makan Diallo : Par rapport à cette question, je rappelle que la profession d’avocat est libérale et indépendante. L’avocat n’est pas obligé de prendre un dossier qui, pour lui, peut heurter sa conscience. Cette liberté est de droit.

De mon point de vue, les raisons profondes qui expliquent le fait pour un avocat de défendre un client alors qu’il ne partage pas les valeurs ou opinions de ce dernier sont à chercher ailleurs. La population, comme vous dites, s’interroge à bon droit. Mais chacun étant ce qu’il est, ces genres de situation peuvent souvent arriver, hélas !

L’Essor : Aussi, il arrive que les avocats défendent des clients gratuitement. Quelles sont les situations dans lesquelles cela se passe ?

Me Makan Diallo : L’un des principes essentiels de la profession d’avocat a trait à l’humanité. Le côté humain de l’avocat fait appel à certaines valeurs qui caractérisent l’exercice de sa profession. Les consultations gratuites ont toujours existé dans les différents barreaux. En tant qu’avocat, nous avons tous au niveau de nos cabinets, des dossiers pro bono où très souvent, l’avocat fait parler son cœur en apportant assistance aux plus démunis.

Les commissions d’office, lors des sessions d’assises, compte tenu de la modicité des montants alloués aux avocats, participent de cet idéal ainsi que l’aide juridictionnelle. Nous savons, en tant qu’avocat, que tout ne se résume pas à l’argent et que dans certaines situations, le côté humain de l’avocat doit se manifester. Acteurs de la justice que nous sommes, il est de notre devoir de faire en sorte, par nos agissements au quotidien, que le droit soit et que la justice triomphe au grand bonheur des justiciables.

Propos recueillis par

Bembablin DOUMBIA

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