Non à la démocratie pour un oui à quoi ?

Au Mali, depuis le redressement de la Transition politique en cours, de nouveaux idéologues prêchent en longueur de journée un «non à la démocratie». Comment peut-on expliquer ce rejet de la démocratie dans un pays qui s’est reconstruit sur la révolution du 26 mars 1991 ? Alors, on renoncerait à la démocratie pour quel régime politique ? Quelle leçon faut-il retenir de la remise en cause de la pratique démocratique au Mali ?

Publié mardi 31 octobre 2023 à 08:43
Non à la démocratie pour un oui à quoi ?

Nous partageons dans les lignes suivantes nos réflexions dans le but de contribuer à recentrer le débat sur le modèle de démocratie au Mali en soulignant ses défis et enjeux. Notre propos est de contribuer à la clarification du débat en éliminant certains biais qui faussent les discussions. Aussi, s’agit-il d’apporter notre pierre à la compréhension des enjeux de la démocratie dans une période de renaissance de l’État au Mali. Cette réflexion met en avant l’endogénéité de la démocratie et sa mise en pratique au Mali, avant d’aborder l’universalité de ses valeurs et principes.

En substance, la démocratie renvoie à la participation du citoyen à la gestion des affaires publiques. Cette participation de toutes les couches socioprofessionnelles ainsi que les communautés est à la base de la stabilité des empires précoloniaux (Ghana, Manding, Sonrhaï). En effet, dans ces empires, les conseillers de l’empereur étaient désignés par leur communauté ou confrérie qui pouvait les révoquer à tout moment pour manquement à leurs obligations. Mais l’empereur lui-même ne pouvait les révoquer. Ce mécanisme de désignation des gouvernants (tirage au sort, etc.) et leurs indépendances vis-à-vis du commandeur suprême ont permis d’assurer la participation des populations à la prise des décisions importantes pour nos ancêtres.

Cette participation massive de toutes les tribus, catégories socioprofessionnelles, etc., à la gestion des affaires publiques permettait de prendre en compte les intérêts et les besoins à des seuils acceptables à telle enseigne que les minorités n’étaient pas exclues du processus décisionnel.

À notre entendement, la gouvernance, sous ces empires, était fondamentalement démocratique, car elle se concevait sur la participation des populations, mais aussi parce qu’elle mettait au centre de l’action publique les besoins et les intérêts des populations sans renforcer les diversités et inégalités naturelles.

La stabilité de ces empires nous rappelle que la démocratie dépend des facteurs internes ou endogènes au sein du système politique lui-même. D’abord, l’effectivité de la démocratie est tributaire de la qualité  (force et efficacité) des institutions de l’État : le système judiciaire, des élections libres et équitables, la représentativité des populations dans les instances de décision, etc.

Ensuite, la culture politique joue un rôle crucial dans le développement démocratique. En effet, une culture politique qui valorise la participation citoyenne, le respect des droits de l’Homme et la tolérance politique peut contribuer à la pérennité de la démocratie.  Enfin, la société civile a une fonction importante dans la consolidation de la démocratie. En pratique, une société civile active et engagée peut contribuer à la surveillance des autorités publiques, à la responsabilisation et la redevabilité des dirigeants, renforçant ainsi la démocratie.

 

PRATIQUE DÉMOCRATIQUE SOUS LA IIIè RÉPUBLIQUE

La démocratie a tout le temps fait l’objet de critiques malgré ses nombreux avantages. Ainsi, Amadou Keita, en analysant la démocratie malienne, fait remarquer que la pratique démocratique malienne ne retient «(…) de la démocratie que sa définition formelle, voire processuelle, en ce sens qu’elle se préoccupait d’organiser des élections, quelle que soit d’ailleurs leur qualité, même si le dispositif institutionnel qui en découlait n’était pas en mesure de satisfaire les besoins essentiels de la population» (Keïta 2013).

En effet, force est de reconnaitre les nombreux défis de la démocratie malienne. Notre démocratie a minoré la grande majorité des citoyens, notamment les jeunes et les femmes présumés ne pas avoir les connaissances spécialisées nécessaires pour prendre des décisions politiques éclairées. Ainsi, les jeunes et les femmes sont faiblement représentés dans les sphères de décisions (gouvernement, Assemblée nationale, etc.) ; pourtant les statistiques nationales indiquent : «La population malienne est d’une extrême jeunesse, 65% ont moins de 25 ans. L’essentielle (sic) de la population (73%) vit en milieu rural (…)» (Mali-UNFPA 2007).

En plus de cette majorité écrasante, certaines minorités se retrouvent tout aussi exclues, car seuls les intérêts et les besoins des élites l’emportent dans le processus décisionnel. En effet,  les décisions sont prises en fonction de la volonté des groupes puissants du jour. Cette pratique a engendré une restriction de l’espace civique et fragilisé la participation politique. Aussi, les politiques publiques qui devraient conduire au bien-être des populations ont souvent été altérées par la manipulation de leaders politiques pour la conquête ou le maintien au pouvoir. En pratique, ces attitudes se traduisent par le populisme, les promesses non tenues et les campagnes de désinformation des populations.

On peut comprendre la remise en cause de la démocratie au Mali, surtout au cours de cette dernière décennie. La pratique malienne de la démocratie a vidé le concept des véritables enjeux, d’où la dégradation de la légitimité des partis politiques, l’accentuation des inégalités, les crises politiques, etc.

 

UNIVERSALITÉ DES VALEURS ET PRINCIPES DE LA DÉMOCRATIE : UN DÉBAT QUI OCCULTE LES DÉFIS

La démocratie telle que pensée aujourd’hui se fonde sur des valeurs (liberté, égalité, justice sociale, solidarité, etc.) et des principes (la souveraineté du peuple, l’État de droit, la séparation des pouvoirs, etc.) largement partagées à travers le monde. Toute société humaine aspire à ces valeurs. Donc, nous devons dépasser ce débat sur l’universalité des valeurs et princes démocratiques pour nous appesantir sur les enjeux actuels de la démocratie au Mali.

L’un des enjeux pour le redressement de la démocratie dans notre pays est de savoir : comment remettre le citoyen au centre de la gouvernance dans un contexte où les élites cumulent continuellement plus de pouvoirs ? Comment prendre en compte les besoins et les intérêts des minorités ? Comment déconstruire la gestion clientéliste et patrimoniale des affaires publiques ? Comment construire un système de justice indépendant, impartial et crédible ?

Je pense qu’il faut reconnaître la fragilité de notre démocratie moderne et, par conséquent, la nécessité de la renforcer. Cependant, je ne désespère pas au point de l’abandonner ou d’envisager une alternative hasardeuse. La démocratie n’est pas une option, elle est le seul choix viable de gouvernance, bien qu’elle reste à parfaire.

En conclusion, je retiens des frustrations exprimées par les Maliens que nous devons renforcer l’institutionnalisation (l’ancrage sociétal) de la démocratie, restaurer l’État de droit et travailler à la dépolitisation de l’armée et de toutes les institutions représentatives.

Il est impératif d’être clair sur le choix de notre modèle de gouvernance, c’est en cela que le peuple et chaque citoyen pourraient aisément exercer un contrôle sur l’action publique. Aussi prégnants soient le contexte sécuritaire actuel et la conjoncture internationale, ils ne peuvent pas justifier un renoncement à la participation des citoyens à la gouvernance publique. Il nous faut cultiver une démocratie fondée sur des principes solides afin qu’elle puisse résister aux troubles internes et extérieurs.

Pr Abdoul SOGODOGO

Enseignant-chercheur à l’Université des sciences

juridiques et politiques de Bamako (USJPB)

Rédaction Lessor

Lire aussi : Bafoulabé : Alerte sur le fleuve Bakoye

Le fleuve Bakoye, autrefois fierté des populations riveraines et source de vie, est devenu aujourd’hui une source de danger, arborant une teinte beige, reflet des déversements chimiques continus, selon le constat des riverains..

Lire aussi : Tribunal de grande instance de Sikasso : La chambre criminelle tient sa 1ère session

La 1ère session de la chambre criminelle du Tribunal de grande instance de Sikasso qui a démarré, lundi dernier, se poursuivra jusqu’à vendredi prochain. La session jugera cinq dossiers à savoir un cas de meurtre et quatre cas d’atteinte sexuel (viols et pédophilies)..

Lire aussi : Cadre de concertation avec les Maliens établis à l’Extérieur : Pour renforcer le dialogue, la cohésion et l’unité au sein de la Diaspora malienne

La session inaugurale de deux jours ouverte hier à cet effet se penchera sur les principales préoccupations de nos compatriotes à l’extérieur avec des recommandations pour une meilleure gouvernance migratoire.

Lire aussi : Médiateur de la République : Le crédo de la formation continue

Une trentaine d’agents du Médiateur de la République suivent une formation de perfectionnement en rédaction administrative dispensée par l’École nationale d’administration (ENA). Cette session de cinq jours, présidée par le Médiateur de la République, Mme Sanogo Aminata Mallé, a déb.

Lire aussi : Profession d’architecte : Les architectes de l’espace Uemoa autorisés à exercer au Mali avec droit de libre circulation et d’établissement

Dans une vision globale, l’architecture est reconnue comme l’art de concevoir, d’organiser les espaces et les bâtiments. Le texte adopté par l’organe législatif renforcera le niveau de formation dans le domaine, mais aussi son accréditation dans notre pays et l’espace Uemoa.

Lire aussi : Région de Bougouni : L’armée détruit deux bases des groupes terroristes

Les Forces armées maliennes (FAMa) continuent avec abnégation leur mission d’escorte des camions transportant du carburant dans notre pays. C’est ainsi que dans le cadre d'une mission d'appui aérien au profit d'un convoi de carburant sur l'axe Kadiana-Kolondiéba-Bougouni, l' aviation a effec.

Les articles de l'auteur

Mandiakuy : Le So’o, un tissu emblématique de la culture Bwa

Le «So’o», un pagne traditionnel, est bien plus qu’un simple vêtement. Riche en couleurs, témoignage de la diversité et de la beauté de la communauté bwa. La beauté d’un tissu se reconnaît à partir de ses couleurs. Ce semble être exactement le cas du So’o..

Par Rédaction Lessor


Publié mercredi 17 décembre 2025 à 11:29

Bafoulabé : Alerte sur le fleuve Bakoye

Le fleuve Bakoye, autrefois fierté des populations riveraines et source de vie, est devenu aujourd’hui une source de danger, arborant une teinte beige, reflet des déversements chimiques continus, selon le constat des riverains..

Par Rédaction Lessor


Publié mercredi 17 décembre 2025 à 11:21

Prix Fondation Orange Mali : Zeina Haïdara, lauréate de la 1ère édition

Pour la 1ère édition du Prix de la Fondation Orange, le trophée a été décerné à l’écrivaine Zeina Haïdara pour son livre intitulé : «Le silence des papillons». Ce prix d’une valeur de 3 millions de Fcfa a été initié par la Fondation Orange Mali pour encourager et accompagner les jeunes talents de la littérature, et surtout contribuer globalement à la promotion de la culture..

Par Rédaction Lessor


Publié lundi 15 décembre 2025 à 09:38

Communiqué du conseil des ministres

Le Conseil des Ministres s’est réuni en session ordinaire, le vendredi 12 décembre 2025, dans sa salle de délibérations au Palais de Koulouba, sous la présidence du Général d’Armée Assimi GOITA, Président de la Transition, Chef de l’Etat..

Par Rédaction Lessor


Publié lundi 15 décembre 2025 à 08:48

2è session du Collège des Chefs d’État de la Confédération AES : Des préparatifs rassurants

En équipe pluridisciplinaire, la commission nationale d’organisation de la 2è session du Collège des Chefs d’État de la Confédération AES était sur le terrain ce samedi matin pour faire le point sur l’avancement des préparatifs..

Par Rédaction Lessor


Publié samedi 13 décembre 2025 à 21:27

Message de félicitations du ministre de la Communication, de l’Économie numérique et de la Modernisation de l’Administration aux acteurs de la presse

«Je voudrais ici adresser mes remerciements et mes sincères félicitations à l’ensemble de la famille des communicants du Mali. Que ce soit les journalistes de la télévision, de la radio, de la presse écrite, de la presse privée, de la presse publique, je vous remercie et vous félicite tous pour vos efforts de lutte contre le discrédit qui a été tenté contre notre pays..

Par Rédaction Lessor


Publié vendredi 12 décembre 2025 à 08:35

Causerie-débat : Le bumda sensibilise ses membres sur le droit d’auteur

Le Bureau malien du droit d’auteur (Bumda) a tenu, mardi dernier, au Palais de la culture Amadou Hampaté Ba, une causerie-débat pour sensibiliser et former ses membres, ainsi que l’ensemble des créateurs artistiques sur des activités en lien avec la gestion du droit d’auteur..

Par Rédaction Lessor


Publié jeudi 11 décembre 2025 à 09:35

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner