Contribution : De l’islam de la conviction à un islam de contrainte

Depuis septembre 2025, les éléments du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) mènent une série d’attaques d’une extrême brutalité. Leur objectif est d’entraver l’approvisionnement du pays en carburant, notamment les régions du sud et de l’ouest, en bloquant l’approvisionnement en carburant depuis le Sénégal, la Côte-d’Ivoire ou la Guinée. Ces actions constituent visiblement une volonté expresse d’asphyxier l’économie du Mali et d’accentuer la pression sociale sur les autorités.

Publié vendredi 24 octobre 2025 à 08:17
Contribution : De l’islam de la conviction à un islam de contrainte

Elles se manifestent à travers des attaques incendiaires contre les camions citernes. Elles n’ont pas non plus épargné les opérateurs économiques et de simples citoyens dont les véhicules ont été ciblés et calcinés faisant plusieurs victimes. Dans ce chaos qu’il veut instaurer, le JNIM, par la voix son porte-parole, Bina Diarra alias Abou Houzeifa Al-Bambari (le bambara), impose une gouvernance indirecte de ce qu’il qualifie de la charia (loi avec le référentiel musulman).

Le groupe oblige désormais le port du hijab (voile étiqueté religieux) aux passagères de tous les moyens de transport, y compris les motocyclettes (deux ou quatre roues), sur les axes routiers reliant la capitale Bamako au reste du pays. 
Le groupe entend clairement isoler le Mali de la Côte-d’Ivoire, du Sénégal et de la Guinée qui sont la sève nourricière de l’économie nationale à travers les ports par lesquels, le Mali s’approvisionne ou achemine ses importations. Toutes ces violences sont commises au nom de l’Islam. Mais de quel Islam parle-t-on ?

 

 L’Obéissance n’est pas la contrainte en Islam- Le terme «tâ‘a» (obéissance), signifie, en arabe, «se laisser guider et se soumettre». Cette soumission se fait librement et volontairement puisque le substantif «taw‘iyya» signifie «la soumission volontaire et le consentement donné pour accepter les décisions d’autrui, avec libre choix et totale satisfaction».

Ainsi, le terme tâ‘a, par essence, s’oppose à toute forme de contrainte. L’obéissance implique la responsabilité puisque l’homme ne peut pleinement se soumettre aux ordres qu’en étant convaincu du bien-fondé de ce à quoi l’on obéit. Dans le contexte malien, c’est l’absence de choix qui pousse les passagères à se plier aux injonctions du JNIM. Vouloir justifier l’imposition du hijab aux passagères relève d’une dérive grave et d’une instrumentalisation éhontée des préceptes islamiques.

Le Coran lui-même rappelle la portée spirituelle, et non coercitive, de l’obéissance. ‘’Ô Muhammad, dis : «Obéissez à Dieu et à Son messager». S’ils se montrent récalcitrants, qu’ils sachent que Dieu n’aime point les impies (Sourate 3, verset 32)’’. «Obéissez à Dieu et au messager, afin d’obtenir la miséricorde de Dieu (sourate 3, verset 132)». Ces versets démontrent à suffisance que l’ordre d’obéir à Dieu implique de se soumettre librement au Créateur et découle de la foi et du libre arbitre non de la peur et de la contrainte. C’est pourquoi le verset (3, 32), dans lequel Dieu ordonne d’obéir à lui ainsi qu’à son prophète, évoque une obéissance continue qui se fait par choix libre. La suite du verset «s’ils se montrent récalcitrants…».

Cette mention conditionnelle montre que l’obéissance doit être pleinement consentie. Une des finalités du texte est que le prophète de l’Islam n’a reçu aucun mandat de contraindre qui que ce soit. Dans un contexte de reconfiguration des groupes terroristes, imposer une tenue vestimentaire n’a rien de religieux. C’est une tentative d’asservir (abid) une Nation et non de servir Dieu. L’esclave a l’obligation d’obéir à son Maître. Celui qui se soumet de par son statut de serf doit obligatoirement obéir à son maître et n’a pas le droit de lui désobéir : sa soumission se fait donc en vertu d’une relation fondée sur la contrainte, dans laquelle il n’a pas le choix entre l’acceptation ou le refus.

À l’inverse, la soumission à Dieu se fait en vertu d’une relation fondée sur le libre choix. Donc, un individu humain (abd Allâh) peut ne pas obéir à Dieu. Il a le choix entre l’acceptation et le refus d’être croyant. L’islam est avant tout, une question de confiance et de libre personnel. On devient musulman par une soumission consciente et volontaire à Dieu. Toute tentative d’imposition est antinomique à ce principe ô combien important dans l’Islam dès ses origines comme le montre le verset suivant : «Ô croyants ! Craignez le Seigneur, parlez avec droiture. Dieu accordera un mérite à vos actions et effacera vos fautes. Celui qui obéit à Dieu et à son messager jouira de la félicité suprême (XXXIII, 70-71)».

 

Déconstruire la violence par l’argumentaire religieux- «Nulle contrainte en religion ! Car le bon chemin s’est distingué de l’égarement.» (Sourate 2, verset 256). Il est essentiel de rappeler que la religion ne détient pas le monopole de la violence légitime, c’est l’État, qui en a le pouvoir. La religion déclare ce qui est interdit (harâm), mais n’interdit pas (l’Islam ne joue pas le gendarme des conduites).

L’État, au contraire, édicte des lois, interdit et sanctionne, sans se prononcer sur le sacré. Sa légitimité tient justement à sa neutralité vis-à-vis des religions et des civilisations. Les terroirs et les aires culturelles au Mali reposent sur des valeurs propres, dont certaines comme la tolérance, le pardon, le respect de la dignité humaine sont communes à tous. La pluralité de la pensée, des civilisations et des croyances est une réalité propre aux Maliens. Vouloir imposer une vision unique à l’ensemble de la population, c’est trahir l’esprit de l’État-nation, et aussi dénaturer une religion dont le fondement même est l’expression plurielle. Les citoyens exercent les rites librement en vouant un culte au Dieu auquel ils croient, et il y en a même qui ne croient à aucun Dieu.

Il ressort d’une lecture rigoureuse des textes islamiques que tout savant musulman est censé connaitre que le jugement qui concernera tous les individus est pris en charge par Dieu, le jour du jugement dernier. Ce jugement est strictement individuel et il n’existe pas de jugement collectif (Mohammed, 2019).

Les exemples d’intervention de religieux sur ce point sont légion dans des pays comme la Mauritanie ou le Maroc. Ici, au Mali, les religieux de la Région de Gao s’étaient opposés à la charia imposée par les groupes terroristes. Aussi, des organisations maliennes de la société civile, à l’instar de la Coalition citoyenne dirigée par l’ancien Premier ministre Ag Hamani ont elles proposé des canaux de discussion avec ces extrémistes religieux. Tout cela atteste de la disponibilité de l’expertise nationale.

L’unité de la Nation doit prévaloir aujourd’hui sur tout autre considération. Les autorités dirigeantes en sont garantes. En outre, l’autorité de l’Islam se rapporte à la conscience, à la liberté d’esprit alors que le pouvoir de l’État a pour référentiel le droit positif.

Au total, le Mali présente aujourd’hui une scène de violence très inhabituelle dont les conséquences et les incidences sont jusqu’ici difficiles à évaluer. Plusieurs actions violentes de la part des entrepreneurs de la violence sont nourries au nom du référentiel musulman, de la volonté indépendantiste et de la criminalité organisée.

 Cette confusion en termes de référentiels nécessite un travail académique rigoureux, parallèlement à l’action militaire qui, au demeurant, éprouve des difficultés à asseoir, à elle seule, une paix et une stabilité durables. Les Ulémas du Mali sont plus qu’interpellés dans le champ de la déconstruction de l’action violente qui veut se légitimer au nom de l’Islam.


La multiplication des espaces substantiels de déconstruction des idéologies extrémistes, animés par des théologiens et experts de différents domaines habilités à cet effet, serait une arme redoutable pour mettre fin de manière irrévocable à cette tragédie humaine. Aussi, le débat doctrinaire tant souhaité par certains Maliens pourrait-il naître de ces espaces.

La récente déclaration du Haut conseil islamique, même si elle s’est gardée de condamner les actions violentes du JNIM, pourrait être le départ d’une action cohérente contre l’extrémisme religieux drapé dans la criminalité organisée. En tout état de cause, l’idéologie se déconstruit par l’idéologie.

Dr Aly Tounkara, directeur exécutif du Centre des études sécuritaires et

stratégiques au Sahel- CE3S

Rédaction Lessor

Lire aussi : Tombouctou : Les communautés pleurent la perte de l'imam de la grande mosquée de Djingareyber

De son vrai nom Abdrahmane Ben Esaayouti, le grand imam a tiré sa révérence ce mercredi 10 decembre 2025. Il a été accompagné à sa dernière demeure par une foule nombreuse de fidèles, d'amis et de parents..

Lire aussi : Fonction publique d'État : Le recrutement de 926 agents contractuels lancé

Les autorités de la Transition ont décidé de combler au niveau de la Fonction publique d'État les insuffisances en termes de personnel de l'administration relevant du Code du travail..

Lire aussi : Abdoul Niang Journaliste, analyste politique et influenceur sur les réseaux sociaux : «L’ESSOR et L’ORTM gardent encore une place essentielle dans la communication d’État, la diffusion des politiques publiques et la valorisation des institutions»

Pour Abdoul Niang, il est évident pour tout le monde que ces deux médias publics ont marqué leur époque. L’ORTM est la principale source d’information audiovisuelle au Mali depuis plusieurs décennies. Quant à l’Essor, en tant que journal d’État, il est la référence écrite officiell.

Lire aussi : Kayes : La lutte contre le Sida ne faiblit pas

Le VIH/Sida représente un réel problème de santé publique à l’échelle planétaire.

Lire aussi : Sikasso : Réformes politiques, institutionnelles et électorales au cœur d’une rencontre

-.

Lire aussi : Université publique de Gao : Le ministre Kansaye entend accélérer son opérationnalisation

Dans le cadre de l’opérationnalisation effective de l’Université publique de Gao, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Pr Bouréma Kansaye a entamé, le week-end dernier, une visite dans la Cité des Askia qu’il bouclera aujourd’hui. Il est accompagnÃ.

Les articles de l'auteur

Prix Fondation Orange Mali : Zeina Haïdara, lauréate de la 1ère édition

Pour la 1ère édition du Prix de la Fondation Orange, le trophée a été décerné à l’écrivaine Zeina Haïdara pour son livre intitulé : «Le silence des papillons». Ce prix d’une valeur de 3 millions de Fcfa a été initié par la Fondation Orange Mali pour encourager et accompagner les jeunes talents de la littérature, et surtout contribuer globalement à la promotion de la culture..

Par Rédaction Lessor


Publié lundi 15 décembre 2025 à 09:38

Communiqué du conseil des ministres

Le Conseil des Ministres s’est réuni en session ordinaire, le vendredi 12 décembre 2025, dans sa salle de délibérations au Palais de Koulouba, sous la présidence du Général d’Armée Assimi GOITA, Président de la Transition, Chef de l’Etat..

Par Rédaction Lessor


Publié lundi 15 décembre 2025 à 08:48

2è session du Collège des Chefs d’État de la Confédération AES : Des préparatifs rassurants

En équipe pluridisciplinaire, la commission nationale d’organisation de la 2è session du Collège des Chefs d’État de la Confédération AES était sur le terrain ce samedi matin pour faire le point sur l’avancement des préparatifs..

Par Rédaction Lessor


Publié samedi 13 décembre 2025 à 21:27

Message de félicitations du ministre de la Communication, de l’Économie numérique et de la Modernisation de l’Administration aux acteurs de la presse

«Je voudrais ici adresser mes remerciements et mes sincères félicitations à l’ensemble de la famille des communicants du Mali. Que ce soit les journalistes de la télévision, de la radio, de la presse écrite, de la presse privée, de la presse publique, je vous remercie et vous félicite tous pour vos efforts de lutte contre le discrédit qui a été tenté contre notre pays..

Par Rédaction Lessor


Publié vendredi 12 décembre 2025 à 08:35

Causerie-débat : Le bumda sensibilise ses membres sur le droit d’auteur

Le Bureau malien du droit d’auteur (Bumda) a tenu, mardi dernier, au Palais de la culture Amadou Hampaté Ba, une causerie-débat pour sensibiliser et former ses membres, ainsi que l’ensemble des créateurs artistiques sur des activités en lien avec la gestion du droit d’auteur..

Par Rédaction Lessor


Publié jeudi 11 décembre 2025 à 09:35

Génève : Le ministre Mossa Ag Attaher porte la vision stratégique du Mali sur les dynamiques migratoires en Afrique

Le ministre des Maliens établis à l’Extérieur et de l’Intégration africaine, Mossa Ag Attaher, a pris part le samedi 6 décembre 2025 à la table ronde ministérielle organisée par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Genève en Suisse..

Par Rédaction Lessor


Publié jeudi 11 décembre 2025 à 09:24

Ouélessébougou : Des céréales distribuées aux familles vulnérables

La mairie de la Commune de Ouélessébougou a procédé, mardi dernier, à la distribution de 14 tonnes de céréales aux familles en situation difficile et aux déplacés qui ont trouvé gîte et couvert dans la circonscription. Cette action humanitaire a été rendue possible, grâce au soutien opérationnel du Commissariat à la sécurité alimentaire..

Par Rédaction Lessor


Publié jeudi 11 décembre 2025 à 09:16

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner