L’aide étrangère : Après l’arrosage, l’essorage

Cette contribution est la première d’une série qui met en lumière l’inefficacité de l’aide internationale. Son auteur, l’économiste, le banquier, l’analyste, l’essayiste Cheickna Bounajim Cissé, démontre que celle-ci n’est jamais neutre et qu’il faudrait bien être naïf pour penser que le monde est aseptisé

Publié mercredi 14 décembre 2022 à 06:13
L’aide étrangère : Après l’arrosage, l’essorage

 Cheickna Bounajim Cissé

 

 

Le 13 février 1997, Joseph Eugène Stiglitz prenait fonction comme économiste en chef de la Banque mondiale, adoubé du titre de premier vice-président de la puissante institution financière internationale. Dans son livre La grande désillusion (Plon, 2002), l’économiste américain raconte son premier jour de service : «Ce qui a retenu mon regard dès mon entrée dans les vastes locaux splendides et modernes de son siège central, 19è rue à Washington, c’est sa devise : «Notre rêve : un monde sans pauvreté ».


Dans une sorte d’atrium de treize étages se dresse une statue : un jeune garçon conduisant un vieillard aveugle. Elle commémore l’éradication de l’onchocercose. (…) De l’autre côté de la rue se dresse un autre monument splendide élevé à la richesse publique : le siège du Fonds monétaire international. À l’intérieur, l’atrium de marbre, qu’agrémente une flore luxuriante, rappelle aux ministres des Finances en visite qu’ils sont au centre de la fortune et du pouvoir.»

Au-delà de la féerie des lieux, un détail m’a particulièrement interpellé dans le récit du prix Nobel d’économie : la statue en bronze. Pour un esprit insistant et persistant, comme le mien, l’évocation de cet objet insolite m’a renvoyé à un autre symbole, celui d’une Afrique, «aveugle, sourde et muette», craintive et plaintive, tenue par la canne de la sénilité et de la servilité et guidée par l’aumônier international dans les dédales d’une mondialisation féroce et véloce.

L’allusion aurait assurément prêté à confusion, n’eût été la cruauté d’une réalité dramatique qui traduit le quotidien de plus d’un milliard quatre cents millions de personnes sur le continent.

Après six décennies d’indépendance, à mille lieues de la prospérité mondiale, toutes les 10 secondes un enfant africain meurt de faim, toutes les 10 minutes 15 Africains sont tués par le Sida, toutes les 10 heures 450 Africains décèdent de paludisme et pourtant… 246 millions de dollars (environ 155 milliards de francs CFA) sortent, chaque jour, frauduleusement du continent africain pour être transférés et placés dans des pays qui ont déjà bouclé leur cycle de développement.

 

UN CRÈVE-CŒUR

L’Afrique est devenue un crève-cœur. La misère, la famine, les épidémies, l’insécurité, et depuis peu la Covid-19 sont devenues des produits d’appel pour certains dirigeants africains qui n’hésitent pas à arpenter, avec amis, femmes et enfants, les grandes allées mondaines des villes aux mille et une lumières ; à se pavaner dans les palaces et hôtels de luxe ; à faire du shopping dans les avenues chic et choc ; à apprécier le thé savoureux, le café langoureux et les liqueurs généreux dans les salons feutrés des palais et des palaces ; pour au final participer aux sommets, forums, conférences, tables rondes avec, sur le cartable bien en évidence, «Notre pays est très pauvre et très endetté», et sur la gibecière fluorescente, «Aidez-nous svp, 5 francs n’est pas peu, 5 000 francs n’est pas trop!» Et la communauté internationale contribue largement – si elle n’en est pas l’initiatrice – à la perpétuation de ce système immoral et amoral, à travers la création de multitudes d’instruments financiers, de projets et de programmes.


Le budget de fonctionnement de beaucoup de ces projets et ONG (coût des expatriés et des prestataires, achat et entretien de véhicules, déplacements et missions, etc.) dépasse largement l’apport réel aux populations censées être les bénéficiaires de l’aide, et dont certains des responsables se payent même le luxe de détourner une bonne partie du peu qui reste dans l’assiette.

L’aide internationale n’est jamais neutre. Il faudrait bien être naïf pour penser que le monde est aseptisé. Il ne l’a jamais été et il ne le sera jamais. Pas plus il ne pourrait être un refuge de bisounours et de câlinours, encore moins un sanctuaire pour les esprits faibles et les âmes sensibles. Les images exceptionnelles d’une rare féerie, remarquablement mises en scène et diffusées à profusion sur la Toile, de prédateur portant secours à sa proie, l’émancipant de sa propre prédation et de celle des autres, font partie des multiples exercices de manipulation destinés à faire croire que le moustique pourrait faire usage d’insecticide pour assainir sa riveraineté.


L’économiste Demba Moussa Dembélé dans une tribune récente publiée par Financial Afrik rappelait : «L’Afrique est la seule région au monde où l’on fait croire aux populations que leur sort dépend de la mendicité internationale, appelée «aide au développement». Mais en réalité, celle-ci est avant tout un instrument de politique étrangère des pays «donateurs».

En avril 2020, dans le cadre des mesures d’allégement de la dette en lien avec la crise sanitaire, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Kristalina Georgieva, avait fait une déclaration surprenante : «Nos pays membres les plus pauvres et les plus vulnérables recevront ainsi des dons qui couvriront leurs obligations envers le FMI pour une phase initiale de six mois, ce qui leur permettra de consacrer une plus grande partie de leurs faibles ressources financières aux soins médicaux et autres efforts de secours d’urgence vitale.» Vous avez bien lu !


Le FMI se paye sur la bête en octroyant des «dons» aux pays pauvres d’Afrique pour que ceux-ci puissent s’acquitter de leurs dettes vis-à-vis de l’institution internationale. Quelle trouvaille géniale ! Tout est mis en œuvre pour que la machine de la dépendance se perpétue et se renforce.

 

LE CHANTAGE À L’AIDE

«L’Afrique se retrouve dans une situation inextricable. Il faut faire attention à ce qu’on dit, sinon on n’obtient pas telle aide ou telle assistance. C’est quoi, ce chantage ? Cela me fait de la peine d’être assis là et de devoir admettre une telle chose devant vous. Mais voilà la vérité brute. » Ainsi s’exprimait à l’époque le bouillant président ghanéen Jerry Rawlings face à la presse étrangère. Ce point de vue semble être partagé par le président sud-africain. Lors de l’inauguration de la NDB (New Development Bank), en juillet 2014, Jacob Gedleyihlekisa Zuma a déclaré que « l’aide occidentale à l’Afrique vient avec des restrictions, des conditions pour nous maintenir dépendants».

Lors d’une conférence de presse donnée le 4 décembre 2019, à l’issue d’un sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) à Watford, près de Londres, Emmanuel Macron avait tenu des propos fermes pour le moins surprenants à l’adresse des dirigeants du G5 Sahel : «J’attends d’eux qu’ils clarifient et formalisent leurs demandes à l’égard de la France et de la communauté internationale.


Souhaitent-ils notre présence et ont-ils besoin de nous ? Je veux des réponses claires et assumées sur ces questions.» Visiblement agacé par la montée du sentiment anti-français sur le continent africain, le président français a ajouté : «Je ne peux ni ne veux avoir des soldats français sur quelque sol du Sahel que ce soit à l’heure même que l’ambiguïté persiste à l’égard de mouvements antifrançais, parfois portée par des responsables politiques.» «C’est la raison pour laquelle j’ai invité à Pau (…) les cinq chefs d’État africains impliqués dans le G5 Sahel, pour pouvoir apporter des réponses précises sur ces points; leurs réponses sont aujourd’hui une condition nécessaire à notre maintien», a-t-il poursuivi.

L’invitation qui était destinée à des fins de clarification entre « partenaires» a vite pris l’allure d’une convocation. Le président burkinabé d’alors Roch Marc Christian Kaboré n’a pas caché son courroux devant cette façon de faire peu élégante de son homologue français : «Le partenariat doit être respectueux des uns et des autres et je crois que cela est très important, a-t-il affirmé. J’estime que le ton et les termes utilisés avant l’invitation posent des problèmes, parce que ça, c’est le contenu des débats qu’on doit avoir ensemble.»

Ce n’est pas la première fois et, certainement, pas la dernière fois que l’Afrique serve de «paillasson» pour emprunter l’expression de Rama Yade – sur lequel les dirigeants économiques et politiques du monde entier viennent s’essuyer les pieds de la salissure de leurs forfaits.

Sinon, dans quel contexte peut-on situer les propos licencieux de l’ancien président américain Donald Trump, qui ne s’était point gêné pour qualifier certains États africains de «pays de merde» («shithole countries») ? Le dirigeant américain pouvait-il qualifier la Corée du Sud, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour ou la Thaïlande, encore moins la Corée du Nord, de «pays de merde» ? Assurément, non. Pourtant, au début des années soixante, presque tous ces pays étaient aussi pauvres que la majorité des États africains.

Qu’ont-ils fait pour accéder au statut respectable et respecté de «Nouveaux pays industrialisés (NPI)» alors que la majorité des pays africains continuent à pointer, sans discontinuité, sur la liste peu enviable des pays les plus pauvres de la planète ? Au-delà des protestations, des indignations et même des récriminations de l’opinion publique africaine, n’y a-t-il pas mieux à faire pour répondre à ces grivoiseries répétées, notamment par la capacité et l’intelligence des Africains à changer fondamentalement et définitivement le visage de leur continent, de zones de conflits et de pauvreté en havres de paix et de prospérité partagée ?

Cheickna

Bounajim Cissé

L’émergentier

 

Rédaction Lessor

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